Un cran plus bas dans la dépression

En 14 ans de caractère dépressif, j’ai connu de nombreux épisodes vénères dont environ 3 où la situation semblait vraiment désespérée. Je suis resté en vie encore assez longtemps pour entrer dans un quatrième de ces épisodes désespérés et j’ai découvert qu’un nouveau cran, plus profond, dans la perte de goût et d’envie était possible.

Comme je n’ai envie de rien faire mais que j’en ai quand même un peu marre de ne rien faire, je vais écrire cet article puisque c’est possible depuis mon lit.

Je ne me souviens plus vraiment de ce que j’aimais faire enfant. Je sais que j’avais des loisirs, mais je ne suis plus sûr desquels je préférais et je n’arrive pas à me souvenir du genre de sentiments que provoquaient leur pratique. Si, je me souviens des humiliations, des échecs, du stress des représentations de fin d’année. Ça fait sens avec la mémoire sélective provoquée par la dépression.

Je sais que j’ai perdu goût petit à petit pour toute activité mais qu’il me restait encore l’écriture et la danse. Ça devait être en 2019. Puis je n’étais plus sûr pour l’écriture mais c’est peut-être parce que mes thématiques étaient logiquement en lien avec mes difficultés.

Puis le plaisir de danser est parti. Je n’ai pas trop compris comment mais je me souviens de cette transition.

Un peu par hasard en 2022, grâce à des amis, nous sommes allés patiner et je me suis souvenu que j’aimais bien ça. Mais c’est une activité de saison et coûteuse donc je ne l’ai pas fait souvent. Je ne sais pas si je ressentirais encore quelque chose.

Et là, en une semaine, je ne sais pas quelle a été la transition mais on a atteint de nouvelles profondeurs. Je suis allé voir une parade d’Halloween le 31 octobre, avec de la musique, des artistes circassiens, etc. Un morceau de fanfare se termine, un autre commence. J’ai un bref élan d’appréciation. Le morceau devait être chouette. Mais quelle que soit l’émotion suscitée, elle se bloque et je pleure à la place. De même quelques instants plus tard, au passage des échassiers que je trouve vraiment cools. Incapable d’être juste content de les voir, je pleure, traversé de pensées sur leur statut d’artiste, leur rémunération pour pratiquer quelque chose qu’ils aiment.

Ce n’est pas que la mémoire qui est sélective, ce sont toutes les perceptions. C’est fatiguant, c’est blessant, c’est insupportable.

Il devrait s’agir de sentiments simples et spontanés et mon cerveau trouve le temps de les juger, de les trouver ridicules, de les brider mais n’a pas la capacité de bloquer aussi la douleur énorme qui remplit l’espace laissé vide.

1er novembre, même expérience lors d’un atelier de chant. Je suis un peu bridé par mon autisme à cause de la foule de participants inconnus et des consignes peu claires mais c’est habituel. Je suis donc un peu limité dans ma mobilité et ma loquacité pour l’échauffement mais ce n’est rien en comparaison de l’effet de la dépression quand nous commençons à chanter.

Il y a longtemps, j’aimais chanter. Il y a quelques mois, je pense que je l’aurais fait machinalement sans ressentir grand chose. Pourquoi faut-il que là, une mémoire semble se rappeler à moi et vouloir se réjouir ? Elle est immédiatement retournée par mon cerveau qui me laisse à nouveau avec la douleur de pleurer le deuil de tout sentiment joyeux.

Je pars avant la fin, convaincu que je ne pourrai plus jamais profiter de quoi que ce soit.

C’est embêtant car mes recommandations Youtube m’avaient emmené à une vidéo I stopped chasing my dreams… and you should too qui m’avait un peu aidé à relativiser mon avenir et convaincu qu’il y a plein d’aspects de nos « vies de rêve » qu’on peut mettre en place dans le présent et qu’on sera en meilleur état pour atteindre nos objectifs si on est déjà dans la joie que nous procurent nos domaines préférés (en l’occurrence, pour elle et moi, l’art).

Sauf que ça consiste à s’autoriser à faire ce qu’on aime.

Et c’est trop tard. Je n’aime plus rien.

En tout cas, plus rien n’est assez intéressant pour surpasser l’envie de rester dans le lit.

C’est le moment où je dois me rappeler que cet article peut être lu et me montrer rassurant. Ou peut-être est-ce un besoin d’honnêteté intellectuelle.

Les personnes au plus bas n’écrivent pas d’articles. Si je suis là, c’est parce que j’essaie de me forcer à faire quelque chose que j’aimais; écrire. Même si c’est depuis mon lit et sur le thème du problème parce que je n’ai pas la force ou la créativité pour mes travaux de fiction.

Ma situation financière n’est pas idéale mais je n’ai pas désespérément besoin d’argent.

Mes étude sont insupportables mais on verra ça plus tard.

Mon appartement est mal isolé et délabré mais je ne suis pas à la rue.

Je ne suis pas le meilleur partenaire actuellement mais j’ai un conjoint qui m’aime et que j’aime.

La seule chose dont j’ai besoin actuellement, c’est de retrouver des loisirs.

Et après, peut-être, le goût de vivre, mais je ne sais pas comment on fait.

Dans ma passivité gouvernée par Youtube, je suis aussi tombé sur cette vidéo: You Can’t LOGIC Your Way Out of Depression. Apparemment, plus nous sommes habitués à utiliser notre logique pour tout résoudre, moins notre quotient émotionnel sera développé. Cela augmente également les chances de dépression et, une fois plongé dedans, l’aggrave plus vite et la maintient. Car on résonne juste mais les perceptions de départ sont faussées apparemment. La mémoire sélective, la concentration sur le négatif tout ça. Il faut donc commencer par changer les perceptions sauf que ça implique de reconnaître des émotions et les traiter.

Je sais pas faire ça.

Aucun psy* ne m’a jamais présenté les choses sous cet angle. Le médecin de la vidéo dit que c’est en partie lié au système de médecine et de pensée occidental et propose notamment la méditation et le yoga qui ont certes des effets prouvés sur la santé mais je n’y arrive plus. Ce sont des moments privilégiés pour se concentrer sur tout ce qui ne va pas. Et il me semble qu’il y a aussi des études sur les dangers justement pour les personnes déprimées ou anxieuses.

Donc je ne sais pas quoi faire. Et tout s’empirera à nouveau quand je reprendrai les cours lundi.

Je serai obligé de sortir du lit parce que je suis inscrit dans un cursus. Sauf les jours où je ferai une crise d’angoisse dès le matin. Obligé d’aller machinalement à des cours qui m’épuisent sensoriellement et mentalement sans compensation parce que plus rien ne m’intéresse. Obligé de travailler le soir pour rendre des devoirs alors que je n’ai déjà plus l’énergie de faire quoi que ce soit. Ne pas avoir assez du week-end pour récupérer. Et recommencer. Juste parce qu’il faut un diplôme. Pour pouvoir prétendre à un salaire un peu moins indécent. Pour le job qui ne nous intéresse pas mais qu’on sera obligé de prendre.

Parce que l’art ne paie pas.

L’art que je ne pratique plus. Donc évidemment qu’il ne paie pas.

J’ai écrit aujourd’hui.


stats +8

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *